Je suis.
Je suis féminine.
Je suis une femme.
Je pourrais paraître
à une terre sans crainte.
Je ne suis pas celle que
je voudrais être.
Je suis belle, je suis seule,
je suis enceinte.

Enceinte des paroles non prononcées.
Remplie par le vide d'un trou noir.
Un bébé noir voudrait exister
dans un monde blanc.
Comme un caillou noir
sur une plage claire et longue.
Mon enfant au monde criaille;
visiblement pour perturber
la paix du paysage nettoyé
et pour accuser la femme
qui le faisait sortir
de son corps.
Sans qu’elle ait perdu du sang.
Sans qu’elle ait émis un son.
Sans qu’elle ait perdu un mot
de sa douleur des cailloux blancs.
Ces cailloux qui sont en somme
une plage large au bord de l'oubli,
une page blanche qui crie l'interdit,
des rêves étouffés qui s'enfuient.

Le caillou noir,
il l’accuse,
le monde de
la ville blanche,
parce que pour lui
il n'y a pas
d'endroit;
il n'y a pas
de renvoi;
il n'y a pas
de joie.
Il me regarde
et je baisse mes yeux.
Même si je nie
le « je suis ».
Je suis.
Je suis féminine.
Je suis une femme.
Je suis une femme accusée
par mon propre bébé,
par la clé de mon sort.
Et pour ça, je dors
jour et nuit car
le mot est interdit;
le sommeil mon alibi.

Je sens en mon intérieur
une mer acide
avec des marées rapides
qui se perdent dans un trou noir.
Lorsque j’essaie de tenir mon enfant,
il s’échappe et me regarde
singulièrement.
Il m’adresse la parole
en levant son doigt.
Il veut que je le libère
de tout ce blanc
qui lui fait
mal au sang.
Il veut nager avec des coquillages!
Il veut des couleurs sur cette longue plage!
Il veut que l'on entende sa rage!

Je suis.
Je suis féminine.
Je suis une femme
qui se promène à la plage
et dont l’âme
rêve de coquillages.
Lorsque je vois des couleurs,
je suis envahie par une peur
bien plus ancienne que moi.
Je donne naissance
sans pouvoir agir;
il vaudrait mieux
construire un avenir.
Je soupçonne une terrible chose:
la nation est une femme
à qui il manque la cause.
2009 © Manou Fines
Comments